Il s’agit là de deux mécanismes de justice transitionnelle qui, loin de s’exclure, se complètent mutuellement dans le processus de lutte contre l’impunité. Avec la Cour pénale spéciale, la CVJRR sera un des maillons essentiels de l’architecture de justice transitionnelle et de gestion du passé de la RCA.
Un aperçu de la définition nous orientera vers l’examen des nuances essentielles entre les deux mécanismes et la complémentarité d’actions mettra un terme à cette analyse.
- Définition :
On entend par justice transitionnelle, un éventail complet des divers processus et mécanismes judiciaires et non judiciaires, mis en œuvre pour affronter le passé, établir la vérité et les responsabilités, rendre la justice et mettre fin à l’impunité. Le but est de favoriser l’accès à la justice et la réconciliation nationale dans les pays qui sortent d’une période de conflit ou de régimes autoritaires marqués par des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire.
En 2015, le forum de Bangui[1] a annoncé la mise en place d’un double mécanisme, judiciaire et non-judiciaire, pour faire face aux injustices commises en RCA.
Louis Joinet, magistrat français et promoteur des principes sacrosaints de la justice transitionnelle, livre une première définition institutionnelle très structurée dont le Principe 1 est : « Le droit inaliénable à la vérité ».
Il énonce : « Chaque peuple a le droit inaliénable de connaître la perpétration de crimes aberrants. L’exercice plein et effectif du droit à la vérité est essentiel pour éviter qu’à l’avenir les violations ne se reproduisent. »
Ainsi, la justice transitionnelle est répartie en 4 piliers, centrés sur les personnes et les victimes :
- le droit à la vérité,
-le droit à la justice,
- le droit aux réparations,
- le droit aux garanties de non-répétition,
Ce chapitre abordera la CPS et la CVJRR à travers leur mandat, leur composition, leur fonctionnement. Il abordera également les nuances notables entre les deux organes et leur complémentarité.
Il faut souligner au passage, que la CVJRR existe juridiquement[2] et que le processus de désignation de ces membres est en gestation. Nous allons donc nous réserver le droit de ne pas approfondir notre analyse en ce qui la concerne, même s’il parait opportun de noter qu’il est fait référence à la CVJRR dans le dernier Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation (APPR) signé le 6 février 2019 à Bangui[3] .
- Organisation CPS et CVJRR
La Cour pénale spéciale (CPS) est une juridiction centrafricaine basée à Bangui. Sa principale caractéristique est sa nature hybride. En effet, elle est composée de magistrats Centrafricains et internationaux et sa loi est inspiré par la loi centrafricaine et les normes internationales.
Elle est instituée pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois. Le délai de son mandat commence à courir depuis le 22 Octobre 2018, date de la session inaugurale.
La CPS se compose de quatre chambres judiciaires, d’un parquet, d’un greffe, et de deux autres entités qui lui sont rattachées : une unité spéciale d’officiers de police judiciaire (OPJ) et un corps spécial d’avocats.
Pour les considérations pratiques, les chambres sont en train d’être mises en place au fur et à mesure de l’avancée des dossiers : la Chambre d’instruction et la Chambre d’accusation spéciale ; puis la Chambre d’assises et la Chambre d’appel. Selon la loi, les chambres seront composées d’un total de 21 magistrats : 11 Centrafricains et 10 internationaux.
Le parquet comprend 1 procureur spécial (international) et 1 procureur spécial adjoint (Centrafricain), assistés par au moins 2 substituts : 1 international et 1 Centrafricain.
Le greffe comprend 1 greffier en chef (Centrafricain) et 1 adjoint (international), assistés par des greffiers en nombre proportionnel au volume des affaires, et par un Personnel international et national chargé, notamment, de la protection de victimes et de témoins et de l’aide juridictionnelle.
L’unité spéciale de police judiciaire est actuellement constituée d’une vingtaine d’OPJ issus des rangs de la gendarmerie et de la police centrafricaine. L’unité est renforcée par six officiers de la police des Nations-Unies. Elle a à sa disposition les outils suivants indispensables à sa mission :
- La Loi organique créant de la CPS de juin 2015 et le Code pénal centrafricain de 2010 ;
- Le Règlement de procédure et de preuve de la CPS de juillet 2018 et le code de procédure pénale centrafricain de 2010 ;
- Le Règlement intérieur de la CPS adopté le 22 Octobre 2018 ;
- La Stratégie d’enquête et d’instruction de la Cour rendue publique le 4 décembre 2018 ; et
- La Décret portant organisation et fonctionnement de l’unité spéciale de la police judiciaire de la CPS du 31 octobre 2018.
La CVJRR sera composée de 11 membres dont au moins quatre femmes qui portent le titre de commissaire. Elle a un mandat de quatre ans à compter de la date de prestation de serment des Commissaires. Ledit mandat ne peut être prorogé qu’une seule fois pour une période ne pouvant excéder 24 mois. Le mandat de la CVJRR comportera primordialement la recherche de la vérité. Parmi les autres fonctions clés de la CVJRR en vertu de la loi, il lui incombera de compléter le travail des tribunaux ordinaires et spéciaux existants, rendre hommage aux expériences personnelles des victimes en leur offrant une plate-forme pour être entendues, et enfin poursuivre la réconciliation nationale dans toute la RCA.
Loin de nous étendre longtemps sur cet aspect, les lignes qui vont suivre au sujet des nuances entre les deux mécanismes nous édifieront davantage sur leurs spécificités.
- Les nuances essentielles entre la CPS et la CVJRR
En interrogeant l’histoire de la RCA, la CVJRR n’est pas une nouveauté. Par exemple, la série d’évènements politico-militaires que la RCA a connu du 18 avril 1996 au 15 mars 2003 et leurs conséquences dramatiques, ont conduit à la convocation des assises du Dialogue National de 2003, qui a permis la mise en place d’une Commission Vérité et Réconciliation qui devrait aller au-delà des assises. Cependant, cette action n’a pas conduit aux principaux résultats escomptés, notamment une profonde réconciliation nationale et une paix durable.
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- Objectifs
La CVJRR poursuit les objectifs suivants :
- Etablir une comptabilité précise des faits qui gangrènent la société centrafricaine depuis 1959 (avec la disparition de l’ancien Président B. Boganda), jusqu'en 2003 ;
- Contribuer à retracer l'histoire du pays et les actes contestés du Gouvernement ou de l’Opposition ;
- Contribuer à faire éclater la vérité nécessaire à l'amélioration des pratiques en matière des droits de l’homme, d’une part et à la mise en place d’une véritable réforme d’autre part ; et
- Promouvoir l’entente et la réconciliation nationale véritable.
Le Dialogue Politique Inclusif de 2008, ainsi que le Forum de Bangui de 2015, ont tous les deux recommandé la remise en place de la Commission vérité. Ainsi, le 7 avril 2020 il a été créé une CVJRR chargée d’enquêter, d’établir la vérité et situer les responsabilités sur des graves évènements nationaux depuis le 29 Mars 1959, date de la disparition du Président fondateur Barthélemy Boganda, jusqu’au 31 décembre 2019.
L’objectif de la CPS est de mettre fin à l’impunité judiciaire qui régnait en RCA depuis 2003.
- Les personnes chargées de l’accomplissement du mandat
Les principaux acteurs de la CPS sont des Magistrats alors que ceux de la CVJRRR sont des commissaires (dont des victimes et des membres de la société civile).
- La compétence matérielle
La CPS est un mécanisme judiciaire qui est un tribunal chargé d’enquêter, d’instruire et de juger les crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide qui ont pris place en République Centrafricaine entre le 1er janvier 2003 jusqu’à la fin de son mandat, alors que la CVJRR est un mécanisme non judiciaire d’établissement de la vérité, de recherche de la justice et de réconciliation. Elle va s’intéresser à plusieurs questions d’ordre social économique ou politique, le rétablissement de la dignité des victimes et la réconciliation.
La CVJRR a la compétence à :
- Entendre les victimes et les témoins ;
- Entendre les auteurs présumés des violations incriminées, obtenir éventuellement leur reconnaissance des faits et faire des recommandations ;
- Elucider les violations graves des droits de l’homme, déterminer la nature, les causes et l’étendue de ces violations en intégrant les circonstances, les facteurs, le contexte et motifs qui y ont conduit ;
- Etablir les responsabilités non- judiciaires individuelles et ou collectives, des personnes morales et de groupes privés, telles que les responsabilités morales, politiques, sociales et économiques, dans la perpétration des violations relevant des dispositions de la loi en clarifiant leurs causes et raisons pour qu’elles ne se rép&